Les damnés

Encastré entre l’A86 et la seine, encerclé par des enseignes de grande distribution et de bricolage, se trouve le cimetière des indigents. Il est fermé au public.

Pour y pénétrer, il faut récupérer la clé à la loge du gardien de l’hôpital de Nanterre. Une clé banale reliée à un porte-clé en plastique rouge annoté d’un code référence écrit au stylo à bille délavé. Pour s’y rendre, il faut marcher dans une zone sans vie, passer sous le pont de l’autoroute et longer une zone mi-industrielle mi-commerciale. Et puis juste après un Métro, il y a une petite impasse coincé entre un bâtiment moderne et une zone de stockage de matériel industriel : l’avenue du cimetière.

Tout au bout, un portail en métal vert sans aucune inscription…

Une fois à l’intérieur, on se rend vite compte qu’il est à l’abandon.

Les tombes en ciment -celles érigées avant les années quatre-vingts- essayent, tant bien que mal, de tenir débout. Mais de celles implantées depuis -en bois- il ne reste plus que quelques vestiges… Des plaques commémoratives, par centaines, jonchent le sol… et une grande partie du cimetière ressemble à un grand champs de bataille oubliée…

Abandonnés aussi bien dans la vie que dans la mort, tous ces indigents semblent, du fond de leurs tombeaux, me murmurer…

Les damnés

Charles-Marie Leconte de Lisles

La terre était immense, et la nue était morne ;
Et j’étais comme un mort en ma tombe enfermé,
Et j’entendais gémir dans l’espace sans borne
Ceux dont le coeur saigna pour avoir trop aimé :

Femmes, adolescents, hommes, vierges pâlies,
Nés aux siècles anciens, enfants des jours nouveaux,
Qui, rongés de désirs et de mélancolies,
Se dressaient devant moi du fond de leurs tombeaux.

Plus nombreux que les flots amoncelés aux grèves,
Dans un noir tourbillon de haine et de douleurs,
Tous ces suppliciés des impossibles rêves
Roulaient, comme la mer, les yeux brûlés de pleurs.

Et sombre, le front nu, les ailes flamboyantes,
Les flagellant encor de désirs furieux,
Derrière le troupeau des âmes défaillantes
Volait le vieil Amour, le premier né des dieux.

De leur plainte irritant la lugubre harmonie,
Lui-même consumé du mal qu’il fait subir,
Il chassait, à travers l’étendue infinie,
Ceux qui sachant aimer n’en ont point su mourir.

Et moi, je me levais de ma tombe glacée,
Un souffle au milieu d’eux m’emportait sans retour ;
Et j’allais, me mêlant à la course insensée,
Aux lamentations des damnés de l’amour.

Ô morts livrés aux fouets des tardives déesses,
Ô Titans enchaînés dans l’Érèbe éternel,
Heureux ! vous ignoriez ces affreuses détresses,
Et vous n’aviez perdu que la terre et le ciel !